Au Roi Léopold III

07-12-1940

On avait beau te parer comme un précieux bijou,

Tout de blanc t'habiller pour te montrer au peuple,

T'entourer de superbes et brillants cavaliers

Et nous dire: "Voilà l'héritier qu'on promène,

Un jour il sera grand, un jour il sera roi,

Bon peuple, découvrez et saluez le Prince!..."

Le peuple accourut, et quand il le vit, mince

Et blond, dans les bras de ton auguste Mère,

Sire, quand il vit ton adorable moue volontaire,

Le peuple a souri et il t'a adopté:

Tu n'as été pour lui qu'un tout petit bébé.

On a eu beau nous dire: "Le Prince est à la guerre,

Le Prince est aux tranchées, à l'Yser il se bat,

Il rehausse l'éclat des vertus de son Père!"

Le peuple a souri, Sire, et il ne croyait pas.

Mais quand après le drame, ils t'ont vu apparaître

A l'ombre du grand Roi, sur ton cheval tout blanc,

Le peuple a essuyé une larme secrète,

Le peuple a compris que tu étais soldat.

On a eu beau nous dire:'Le Prince se marie.

Il amène du Nord le plus réel joyau,

La beauté, la vertu, la sagesse et l'amour!"

Le peuple a souri, Sire, à tant de louanges,

Il n'a pas cru possible un mérite si grand.

Mais quand il a vu choir sur le coeur de son Prince

La frêle silhouette avec tant d'abandon,

Le peuple a frémi, Sire, à tant de promesses,

Le peuple a compris la valeur de ce don.

On eut beau s'exclamer: -Ah Dieu, douleur immense!-

"Albert premier est mort!"... D'un malheureux trépas,

Le peuple stupéfait a porté en silence

Le deuil vraiment cruel qu'il ne méritait pas.

Or, nous ne savions pas l'épreuve qui guettait,

Qu'un implacable sort, hélas, nous réservait:

Le peuple a vu pourtant, un jour, l'aimable Reine

Comme une pauvre fleur, fauchée avant le soir.

Alors il a compris ton noble désespoir

Et, Sire, il a pleuré, héritant de ta peine.

Des nôtres tu étais: Enfant, Soldat, Altesse.

Nous admirions ta foi, ta force, ta bonté.

Nous avons tous aimé ta royale noblesse

Depuis... nous devons plus à Votre Majesté

On a eu beau nous dire: -Ah! Dieu qu'on nous pardonne!-

"Le Roi Albert est mort!..." Qui aurait cru cela?

Le peuple stupéfait a porté en silence

Un deuil aussi cruel qu'il ne méritait pas.

Et si à ce moment, quelque mauvaise augure

Aurait osé prédire ce qui nous attendait,

Le peuple aurait grondé comme une mer houleuse,

Contre une nouvelle épreuve que Dieu nous préparait.

Mais alors, quand il t'a vu, suivant l'auguste Reine,

Te raidir et porter comme un héros ta croix,

Le peuple a pleuré, pleuré avec son roi.

Tu as été à nous, Enfant, Soldat, Altesse,

Tu as été à nous, nous t'avons tous aimé,

Nous t'avons tous aimé, car tu étais des nôtres.

Depuis ... Nous devons plus à Votre Majesté.

Capt. Cdt. Janssens

Gent, 7-12-1940